12e Congrès Ruepsy
Parole d’enfant : dialogues et malentendus entre psychanalyse et éducation
Cahier de Résumés : Tables rondes
1. L’infantile et le dire.
Cristiana Carneiro (Université Fédérale de Rio de Janeiro)
Nous allons interroger la ruée actuelle vers le diagnostic et ses mésaventures à l’égard des enfants. Comment saisir la différence de temporalité entre la procédure psychanalytique et la praticité des manuels diagnostiques actuels ? Est-il possible de considérer l’école comme partenaire dans l’élaboration diagnostique ? Pour la psychanalyse, le diagnostic se construit à partir de la relation transférentielle et non pas à partir d’une symptomatologie observable (Zanetti & Kupfer, 2008). Le diagnostic se fait donc de manière procédurale. En discutant de la place de l’analyste, Freud (1938) précise que nos hypothèses conceptuelles sont des guides d’intervention, mais « seul le cours ultérieur de l’analyse nous permet de décider si nos constructions sont correctes ou inutiles ». Dans ce sens, il n’y aurait pas une théorisation ou une classification suffisante et a priori au-delà du discours et du champ affectif établis avec le patient. L’insuffisance est un outil précieux, remettant en cause l’autorité de l’analyste sur la vérité du sujet. En revanche, le diagnostic psychiatrique actuel axé sur l’identification des signes et des symptômes observables, privilégie la psychopathologie descriptive construite phénoménologiquement, finit par s’articuler à un idéal d’efficacité et de rapidité. En excluant les relations entre les symptômes et le fonctionnement psychique des sujets, qui incluraient le récit de leur souffrance, l’accent est mis sur la seule description du symptôme (Dunker, 2014). La rapidité de ce modèle prêt-à-porter de diagnostics suggérée par des manuels indique que la hâte n’est souvent pas en faveur du sujet.
Cristina Ronchese (Université Nationale de Rosario)
Dans une perspective psychanalytique en dialogue avec d’autres savoirs, nous allons analyser l’idée selon laquelle « il faut donner de la place à la parole de l’enfant », revendiquée par la législation actuelle relative aux droits de l’enfant. À partir de vignettes tirées du milieu scolaire et de la pratique clinique en libéral, nous poserons quelques questionnements et certaines pistes d’analyse et de réflexion sur les implications, les particularités et certains obstacles qui peuvent être en jeu dans l’acte de « donner une place » à la parole d’un enfant, c’est-à-dire du passage de l’entendre à l’écoute de la parole. Dans ce sens, nous allons analyser le regard porté par des adultes sur les enfants, ainsi que les effets produits. Par ailleurs, nous allons situer ce positionnement adulte dans les coordonnées socioculturelles contemporaines.
Simone Moschen (Université Fédérale de Rio Grande do Sul).
L’éducation peut être considérée comme un processus qui favorise les liens sociaux, capable de soutenir un éthos commun. Mais ce commun, en tant qu’il dérive – autant qu’il produit – du tissu symbolique, ne retire pas sa consistance de la fixation de sens univoques, mais, au contraire, il prend toute sa force dans l’exercice de l’ouverture polysémique que le langage porte en soi. C’est cette ouverture, caractéristique du langage, qui permet de tendre les limites du dire et de produire des fissures dans l’énoncé. Cependant, il n’est pas difficile de voir que nous traversons, au Brésil, un moment où la parole localise et fixe trop vite celui qui la prononce, qu’elle enferme celui qui la prononce dans une position où il est immédiatement attaché à un ensemble d’idées fixées. Ce mouvement de captation de la parole, et sa localisation immédiate d’un côté de la problématique, rend l’espace du débat aplati par une logique binaire qui oblige à choisir entre « oui » et « non », balayant de la scène les nuances du vivant. Cette opération, qui est avant tout une opération de langage, finit par produire une paralysie de l’exercice de la pensée qui requiert, justement, des conditions de répétition, de transit, de changement de perspective. Dans ce travail, nous voulons penser le langage, dans son visage poétique, comme un stylet capable d’insérer une brèche dans cette logique qui tend à la fermeture et à l’effacement de la pensée. Manoel de Barros, poète brésilien, définit la poésie comme « enfance du langage », une proposition qui permet d’articuler enfance, polysémie et création, dans le but de penser l’irruption du poétique comme manière d’affronter les attaques quotidiennes contre l’ouverture inventive du langage.
2. Le dire derrière ce qui (ne) se dit (pas) dans ce qui (ne) s’entend (pas)
Ariana Lucero (Université Fédérale do Espirito Santo)
Dans le contexte des questions proposées par le congrès autour de la parole de l’enfant, ce travail vise à réfléchir sur la façon dont les institutions accueillent les manifestations dans lesquelles la parole semble ne pas être présente. Le mutisme et les attitudes agressives et défiantes nous incitent à penser à propos des différentes réponses possibles dans les domaines de l’éducation et de la clinique, y compris celles pratiquées dans les établissements de santé mentale. Comment ouvrir un espace pour la parole de l’enfant ? Écouter l’enfant d’un point de vue psychanalytique implique une dimension qui ne se limite pas à ce que l’on entend. Au-delà de l’importance que le jeu a toujours eue dans la clinique psychanalytique avec des enfants, le regard, les gestes, la posture corporelle, y compris les mouvements de refus, permettent une écoute qui laisse émerger le conflit inconscient. Dans le domaine éducatif, c’est un grand défi de soutenir la parole face au mutisme ou aux manifestations dérangeantes. En matière de santé mentale, les demandes de réinsertion sociale imposent souvent la politesse et les règles de comportement. En entendant ce qui est dit dans l’absence de la parole, la psychanalyse dévoile que les symptômes de ces enfants, diagnostiqués avec un trouble neurodéveloppemental, mettent en évidence des subjectivités de notre époque qui ne trouvent de place sociale que dans la pathologisation de l’existence. Ce cervage – néologisme créé par Lacan (1972), superposant cerveau et servage – a limité les possibilités d’action des professionnels dédiés à l’enfance, ce qui n’est pas toujours dit.
Julia Borges Anacleto (Projet Capes/Cofecub)
Le terme d’éducation inclusive est aujourd’hui très présent dans l’imaginaire pédagogique, surtout après la Déclaration de Salamanque. Le discours hégémonique autour de ce terme s’appuie sur l’avancement vorace des savoirs experts dans le domaine de l’enfance, accompagné d’une infinité de biens et services psychopédagogiques, ainsi que médico-thérapeutiques. En outre, il ne cesse pas de réitérer la vieille illusion (psycho)pédagogique (de Lajonquière, 1999) et sa naturalisation essentialiste des idiosyncrasies propres au sujet. Par conséquent, la devise de l’éducation inclusive devient celle de satisfaire ou combler des besoins éducatifs plus ou moins particuliers. Cette devise réduit le parlêtre à une substance psychologique déjà donnée dont ses supposés besoins intrinsèques au développement d’une manière d’être établie à l’avance doivent être satisfaits. C’est précisément son statut de parlêtre qui est ainsi remis en cause. Toutes les manifestations de l’enfant se réduisent à un « comportement » plus ou moins troublant et, comme tel, servent à la réitération des certitudes classificatoires établies à l’avance par les experts. Ça ne fait que compliquer la traversée de l’enfant vers la conquête d’un lieu de parole singulier dans le lien social. Dans ce contexte, nous proposons d’opérer une tournure sur la notion d’éducation inclusive axée sur une éthique du sujet. Comment soutenir un travail scolaire inclusif qui prennent en compte les réponses singulières des enfants face aux demandes scolaires, tout en renversant la clé de lecture naturaliste hégémonique qui réduit la parole de l’enfant à l’expression des besoins éducatifs plus ou moins particuliers ?
Kelly Cristina Brandão da Silva (Université d’état de la ville de Campinas).
Sur la base d’une expérience dans une clinique-école d’orthophonie, qui assiste des enfants âgés de zéro à quatre ans présentant un retard de langage, nous constatons une augmentation considérable, avec la pandémie de Covid-19, au Brésil, des enfants qui montrent des signes de fermeture autistique. Ils sont peu demandant envers l’autre, ils ne parlent pas et présentent des difficultés à l’école. Ces enfants arrivent précipitamment capturés par le diagnostic hégémonique de TSA – Trouble du Spectre Autistique, produit par le discours de la science. Le sens éthique du travail avec les familles, si soumises à des diagnostics totalitaires, implique l’ouverture à ce qui échappe à la classification. Il s’agit pour l’enfant de pouvoir être reconnu non pas comme autiste – fils du discours de la science – mais avec un corps, des traits et des goûts familiers, avec son propre nom et prénom, non anonyme.
Il est important de souligner, à partir de la psychanalyse, le caractère indécis des psychopathologies de l’enfance. Maintenir un diagnostic fermé contredit non seulement l’état d’incomplétude typique de l’enfance, mais peut aussi imposer des conditions contraires à la direction du traitement et nécessaires à l’émergence du sujet. Malgré les réserves sur les diagnostics hâtifs et déterministes, certaines questions doivent être approfondies : les effets de la distanciation sociale, dans la pandémie, expliqueraient-ils l’augmentation des enfants présentant des signes de fermeture autistique ? Y aurait-il des changements au niveau du lien social qui impactent différemment les dynamiques familiales et scolaires, mettant plus d’obstacles dans le processus de constitution psychique ? Comment la théorie psychanalytique peut-elle nous aider dans cette discussion, donnant voix et légitimité aux plaintes familiales et scolaires, sans pour autant confirmer le discours organiciste TSA ?
3. Le désir au-delà de la demande idéologiquement orientée
Cristiane de Freitas Cunha Grillo (Université Fédérale de Minas Gerais)
Depuis seize ans Janela da Escuta [Fenêtre de l’écoute] est un laboratoire interdisciplinaire guidé par l’éthique de la psychanalyse, qui se traduit par la prémisse que l’adolescent est un expert de lui-même. Depuis 2016, nous y accueillons des adolescents qui se disent trans. Le travail guidé par la psychanalyse lacanienne met en lumière la singularité radicale, sans négliger un collectif de singuliers. La Janela da Escuta, en prenant l’adolescent comme spécialiste de lui-même, comme chercheur, devient un laboratoire de solutions. Une demande arrive à Janela da Escuta de la part d’une unité socio-éducative féminine, qui accueille des adolescentes trans, concernant les mutilations sur les corps. Nous ne reculons pas devant ces revendications, ouvrant un espace de conversation dans lequel une parole inédite peut émerger, être accueillie et creuser une place pour la subjectivité dans l’universalité des politiques publiques. Une adolescente accueillie à Janela da Escuta parle de son mécontentement d’être qualifiée de « homme trans ». Elle affirme qu’elle est une femme lesbienne qui a choisi d’être renommée Jean. Nous amorçons un travail axé sur une « liberté-pas-toute » , c’est-à-dire, une liberté de la parole qui ne devienne pas un impératif de tout dire et de faire cristalliser la parole sur elle-même, comme une nomination rigide et immuable. Une autre adolescente désignée comme « femme trans » arrive à l’institution. Dans le centre spécialisé pour les « trans », elle utilisait un prénom féminin. Tandis qu’à l’école, elle accepte d’être appelée par son prénom masculin de naissance. Chez nous, à Janela da Escuta, elle dit ne pas savoir quel prénom choisir. Pouvoir parler, se tromper, trébucher, est une condition indispensable à la pratique analytique. Sans identifications rigides et idéaux asphyxiants, la psychanalyse peut se répercuter dans les domaines politique, éducatif et social.
Laëtitia Petit (Aix Marseille Université)
La direction de la cure, ici en particulier d’un adolescent, impose la suspension nécessaire de ladite demande de l’adolescent ou de ses parents, voire de l’institution scolaire, pour laisser une place au travail psychique. Cette suspension n’est possible que dans l’espace et la temporalité du cabinet du psychanalyste. Si l’on prend l’exemple des changements durant la cure chez certains adolescents en quête d’identité, on peut montrer comment ces changements ne tiennent que par cette position freudienne, éthique et théorique, qui privilégie les processus complexes d’identification sur une identité, idéologiquement déterminée. Ainsi, la psychanalyse semble être le seul dispositif encore possible pour permettre que le désir du sujet prévale sur une demande idéologiquement déterminée.
Au décours de ce développement, nous interrogerons ce qu’est un parent, car cette notion n’est pas un concept psychanalytique, sauf sous la forme de parent combiné chez Melanie Klein. D’où viennent les parents ? Construction culturelle et vectrice d’idéologies, il faudra penser cette notion selon ce qui la définit pour un enfant ou pour un adolescent, ainsi que pour l’institution scolaire par exemple.
L’éducation étant un implicite partagé de la fonction parentale et enseignante, on doit pourtant différencier les enjeux de la fonction parentale et de la fonction enseignante, tout en identifiant les limites de chacune de ces fonctions. Le désarroi des enseignants des Collèges et Lycées confrontés à des impératifs venant d’adolescents qui changent de prénom par exemple, pris entre des discours parfois contradictoires entre les parents et l’institution scolaire. Ce « trouble » dans les références symboliques peut être entendu comme un symptôme à mettre au travail de l’analyse.
Ilaria Pirone (Université Paris 8).
Il s’agira dans cette communication de partager des questions qui émergent dans les suivis de familles et d’enfants de l’exil dans un centre médico-psycho-pédagogique. Ces rencontres amènent avec elles dans nos institutions le contexte politique et social actuel, nous conduisent à revisiter certaines notions métapsychologiques et nous portent à nous engager différemment dans le transfert. Les récits de ces patients nous confrontent parfois aux abysses noirs de l’irreprésentable cruauté de l’être humain, nous obligeant à remanier le cadre : il faut les recevoir à plusieurs en se soutenant du lien transférentiel institutionnel pour permettre une écoute re-humanisante. Mais au-delà de ces remaniements « techniques » des dispositifs cliniques, ces rencontres nous permettent aussi de revisiter nos références et nos appuis théoriques. C’est ainsi que dans un service principalement orienté par les références à Lacan et son retour à Freud, nous avons dû remettre au travail la notion de trauma et de traumatisme, sans tomber dans une lecture tout-traumatique réduisant ces patients à des nouvelles figures victimaires. Dans ses rencontres, et pour qu’il y ait rencontre, la voix de l’analyste tenue par « un désir plus fort que les désirs dont il pourrait s’agir » (P. Guyomard, 2011) n’est pas seulement coupure et scansion, mais aussi bord, récit.
4. La parole et la crise dans l’éducation
Jean-Marie Weber (Université de Luxembourg)
Si un jeune ou un enseignant développe des symptômes, on peut y détecter quelque chose de son rapport à la parole. Enfermé dans son imaginaire, il y a souvent refus de parole. Il y a déni de la vérité de la parole. Le sujet ne veut pas s’ouvrir au réel invisible, c’est-à-dire à la vie. Pas étonnant que la rencontre avec l’Autre et son désir lui font peur. Confronté au désir de l’autre, la question du che vuoi l’angoisse. S’énoncer, parler en vérité nous fait prendre le risque de perdre notre image ou de la voir nous transformer et d’advenir comme sujet divisé. Ce n’est que « du désir de la rencontre, étayé sur la promesse qu’aura lieu [la parole], que naît la possibilité de prendre le risque du vide, du saut, de la séparation d’avec l’image de soi. » (Vasse). Freud était conscient de cette problématique. L’école ne doit pas « vouloir être plus qu’un lieu où l’on joue à la vie ». Elle doit introduire du « jeu » pour que le jeune puisse expérimenter et se distancier de ce sur quoi il avait construit son identité. C’est à partir de deux vignettes cliniques que nous allons montrer la problématique du refus de parler et de la violence de la parole.
Douglas Emiliano Batista (Université de São Paulo)
Le dispositif scolaire moderne a soutenu pendant quatre siècles une dialectisation sans synthèse entre tradition et raison (Blais, Ottavi et Gauchet, 2014), ce qui lui a permis de protéger l’ancien contre le nouveau et inversement (Arendt, 2005). Cependant, le discours pédagogique centré sur l’élève a donné lieu, depuis le début du XXe siècle, à une certaine polarisation entre les anciens et les nouveaux-arrivants, désavouant ainsi la parole des enseignants. En conséquence, la transmission des traditions épistémiques, éthiques et esthétiques par les enseignants a perdu son hégémonie à l’école – particulièrement dans un pays comme le Brésil – au profit de l’idée d’un développement supposé des facultés psychologiques dites individuelles des élèves. Ainsi, la parole des enfants est considérée comme le dernier mot, car elle résulterait du développement de la soi-disant nature individuelle de l’enfant. Ce développement serait le résultat de l’initiative de l’apprenant, puisque la transmission culturelle par l’Autre de l’enseignant et donc par l’altérité symbolique de l’enseignant, ont commencé à être considérées comme oppressives. De plus, à partir des années 1960, les révolutions technologiques ont entériné un tel circuit court de transmission en supposant que l’initiative privée et auto-référée de l’étudiant de donner un avis farouche sur tout serait l’expression la plus emblématique de l’initiative juvénile. Dans ce contexte, il convient de se demander si une telle auto-obsession opiniâtre de la part des étudiants a pu contribuer, en particulier au Brésil, à la « formation » d’individus auto-référés, narcissiques (c’est-à-dire réfractaires à l’Autre) et anti-culturels, lesquels se prenant pour des critiques contestataires, opèrent en effet comme des propagateurs de désinformation, de post-vérités et de négationnisme. Cette propagation remet en cause l’interlocution et l’altérité inhérentes à la vie commune dans l’espace public.
Léandro de Lajonquière (Université Paris 8).
Nous ressentons actuellement « une certaine incertitude » en matière d’éducation. Nous doutons de « quoi faire » avec les enfants et de ne pas « savoir comment faire » avec eux dans la vie quotidienne. Cette situation n’est pas confortable et donc tous ceux qui doivent aujourd’hui « faire avec les enfants » cherchent une manière de s’en sortir. Ils n’hésitent pas à recourir aux savoirs censés être des « savoirs experts ». Un cercle vicieux est ainsi formé : des gens ordinaires ressentant de l’incertitude ont recours aux experts sans s’apercevoir que le caractère supposé expert du savoir desdits experts n’est que l’autre face de leur propre incertitude avec le « comment faire avec » les enfants. Ils finissent donc par s’embrouiller ainsi dans ce que j’ai appelé il y a plus de 20 ans, l’illusion psychopédagogique, c’est à-dire qu’ils s’enfoncent dans la croyance selon laquelle l’éducation est une affaire de « savoir-faire ». Cette incertitude dans l’éducation des enfants fut toujours ainsi dans l’histoire ? Á Cette question, comme d’ailleurs à tout ce qui touche au passé des hommes, on ne pourra jamais répondre avec certitude. Cependant, je m’en suis fait une certaine idée. Mais attention, à ne pas prendre ce que je vous présenterai lors de ma participation à cette table ronde dans le sens qu’avant on vivait mieux qu’aujourd’hui. A mon avis, nous devons travailler avec l’idée d’incommensurabilité historique. Il faut donc élucider la place de la parole dans notre modernité afin de replacer l’éducation dans le registre d’un « savoir-vivre » avec les enfants, susceptible de témoigner de la castration.
5. De l’écoute du sujet : quels dispositifs en éducation et formation ?
Margareth Diniz (Université Fédérale de Ouro Preto)
La formation initiale et continue des enseignants, axée sur la perspective d’accueillir la différence, est un processus de construction permanente de sens collectif et subjectifs. Traiter du savoir-ne-pas-savoir à partir d’une perspective référée à la psychanalyse dans la formation des enseignants, implique d’accepter de passer de l’idée que la formation est prête et achevée à une perspective dans laquelle nous sommes continuellement en formation en contact avec l’inédit et l’inattendu. Le savoir enseignant est constamment élaboré et mis à jour à partir d’un rapport à la différence, grâce à des expériences de pratique professionnelle, de découverte des diversités d’apprentissage et d’enseignement et des échanges entre pairs. Comprendre comment les enseignants pensent, ressentent et agissent lorsqu’ils sont confrontés à l’« élève différent » dans leurs classes exige une volonté constante en tant que formateur et chercheur d’accueillir et d’élucider le rapport au savoir-ne-pas-savoir des élèves. La rationalité scientifique ne modifie pas l’imaginaire et les représentations collectives négatives qui se sont construites sur le soi-disant « différent » et ne change pas les représentations des enseignants. Il faut donc construire une position, se faire un lieu, afin d’avoir un style d’enseignement. Comment forger cette place, ce style pendant et après la formation initiale, qui permet d’accueillir la différence ? Dans le Groupe de Recherche Caléidoscope, nous interrogeons les dispositifs de formation des enseignants axés sur l’accueil de la diversité et de la différence. Dans la recherche-intervention dans les écoles où travaillent les diplômés passés par la formation initiale, nous développons un travail de suivi et d’écoute des nouveaux enseignants, à partir des références de la Psychanalyse autour de la méthode clinique.
Ana Carolina Ferreyra (FLACSO-Buenos Aires).
J’envisage de témoigner de mon expérience de formatrice d’enseignants axée sur la psychanalyse. Je fais l’hypothèse que nos pratiques sont étroitement liées à la conception du sujet que nous portons, que nous ayons ou non conscience de cela. La psychanalyse produit une rupture épistémologique qui n’est pas sans conséquence. De cela, j’envisage précisément de vous parler. L’immédiateté de la culture d’aujourd’hui rend difficile la recherche d’un espace vide qui permette l’intervention de l’Autre, c’est un problème qui nous apparaît clairement lorsque nous entendons les plaintes des enseignants sur leurs difficultés à rencontrer leurs élèves et à tenir une posture enseignante. Il est fréquent de les entendre dire qu’ils n’ont pas été « préparés à ça », s’installant ainsi un rejet du lien éducatif tantôt de leur côté que du côté des jeunes. Tenant compte de l’asymétrie qui caractérise le lien éducatif, et de la responsabilité (même lorsqu’elle requiert le consentement du sujet) qui revient au professeur, nous considérons ce « ça » comme étant la présence d’un réel. Nous remettons en cause la possibilité de « préparer quelqu’un à ça » dans le cadre de la formation des enseignants dans laquelle nous intervenons. Le langage, en tant qu’artefact qui nous permet de faire quelque chose avec ce « ça » qui nous affecte, permet d’investir une nouvelle représentation et donc la construction d’un « savoir-faire ». Cela impliquera d’accepter la satisfaction paradoxale impliquée dans l’expérience : il y a toujours quelque chose qui ne fonctionne pas.
Yves-Félix Montagne (Université de Besançon)
Lors de ma visite dans la classe d’un professeur, j’ai entendu un élève répondre à l’enseignante, qui proposait un rendez-vous pour « une heure de vie de classe » (moment de discussion entre des élèves et leur professeur principal), « Madame, on en a marre de ces heures de mort de classe ». J’ai posé sur cette réponse, jouant avec la langue, quelque chose du dualisme pulsion de vie/pulsion de mort. Ce constat a engendré une question : Pourquoi une rencontre en parole organisée pour dénouer les embarras semblait-elle « briser les rapports et détruire les choses » (Freud, 1938) en provoquant un ressenti mortifère ? J’ai pris date avec les élèves pour deux discussions (inspirées des GPAP, Montagne 2017) afin d’en comprendre davantage et de penser une autre façon de dire en compagnie au collège. Les résultats interprétatifs des dires des élèves sont résumés par cette phrase équivoque d’un d’entre eux : « le prof entend pas ce qu’on dit en vérité ». En se souvenant de la valeur lacanienne de la vérité (Lacan, 1966) on peut prendre le « en vérité » de cette phrase comme autre chose qu’un tic langagier à la mode. On peut comprendre d’abord que les élèves déplorent que leur interlocuteur n’écoute pas qu’ils expriment quelque chose de leur vérité, prise comme la cause sous-jacente et désirante (cf. le schéma des 4 discours lacaniens) de leur parole. Mais on peut comprendre aussi que ces élèves désirent être écoutés de façon vraie, moins magistrale ou universitaire, plus analytique. Le professeur étant mis en place de sujet supposé écouter (écho au sujet supposé savoir de Lacan). Ces deux pistes laissent entrevoir une façon moins mortifère de discuter avec ces adolescent-es pour faire un autre couple de la vérité et du savoir.
6. Le futur a-t-il un avenir ? Ecouter les adolescences, aujourd’hui.
Luciana Gageiro Coutinho (Université Fédérale Fluminense)
Au regard du démantèlement ces dernières années au Brésil des politiques publiques, on constate que les configurations actuelles du champ culturel et sociopolitique gomment la dimension d’altérité quant à la présence de l’Autre et de la parole, de ce qui fait lien, notamment dans le domaine éducatif. En partant de ce qui se présente comme un malaise dans l’adolescence et la jeunesse brésiliennes – les épisodes récurrents de suicide et d’automutilation -, nous présenterons les recherches développées au LAPSE (Grupo de Pesquisa Psicanálise, Educação e Laço Social), pour discuter de la dimension socio-politique de cette souffrance (Rosa, 2016), en soulignant l’importance qu’elle soit également traitée au niveau collectif et institutionnel. En lien avec la recherche, nous avons soutenu des groupes de parole avec des enseignants et des lycéens et des universitaires, conçus comme des espaces de parole, d’écoute et de partage d’expériences, grâce à une association libre collectivisée. Inspirés par des auteurs qui ont construit des dispositifs collectifs de traitement de la souffrance sociopolitique (Broide & Broide, 2016), nous soutenons la parole et les échanges altéritaires par la présence du psychanalyste dans les institutions, afin de traiter la douleur et la jouissance passées sous silence et vécues de façon solitaire par des jeunes, favorisant ainsi leur adresse au champ politique.
Perla Zelmanovich (FLACSO-Buenos Aires)
L’écoute des adolescents d’aujourd’hui nécessite une lecture qui tienne compte du « futur antérieur ». C’est ainsi que nous avons procédé dans le Programme de Psychanalyse et Pratiques Socio-Éducatives à FLACSO Argentine, et dans une série de cursus dans certaines universités publiques en Argentine. Le dispositif repose sur trois piliers : le temps subjectif, l’écriture des scènes de la biographie scolaire elle-même et la lecture de la psychanalyse transdisciplinaire. Elle montre la fécondité d’une logique nodale avec la théorie des quatre discours, le transfert et le temps logique subjectif (Zelmanovich, 2013-2023) dans son dialogue avec la pédagogie sociale (Núñez, 2004 ; Moyano, 2014). La mise à jour des paradoxes de l’inclusion dans l’enseignement secondaire permet de situer l’écoute des adolescents dans différentes modalités de transfert selon le type de difficultés dans le lien. Chacun agit dans la dynamique d’ouverture et de fermeture du lien éducatif pour traiter de manière sublimatoire la souffrance de ce symptôme de la puberté qu’est l’adolescence. Une logique anti-ségrégative favorable à l’écoute des adolescents avance en même temps que le deuil des enseignants pour l’abandon d’impostures figées et inefficaces dans leur fonction. Un enjeu pour les politiques publiques renforcées par l’expérience de la pandémie est d’activer une « écoute trans-pandémique » basée sur le futur antérieur, comme le montre notre recherche sur « Los malestares en las prácticas profesionales en tiempos de pandemia. Aportes de la Clínica Socio-educativa para su abordaje » dont ses résultats furent présentés dans le livre Vinculo educativo y transpandemia coordonné par Molina & Zelmanovich, et al (2023).
Rose Gurski (Université Fédérale de Rio Grande do Sul ; Ecole doctorale Psychologie clinique – Université de São Paulo)
De 2014 à 2019, le nombre de suicides chez les jeunes de 15 à 29 ans a doublé au Brésil (IBGE, 2019). Lorsque l’option de « laisser mourir » prend la place du désir de vivre de la jeunesse d’une époque, on se retrouve face à une souffrance qui n’est pas privative d’un sujet. En ce sens, nous nous demandons que révèle l’absence de volonté de vivre sur les conditions du lien social actuel ? Comment les configurations sociétales, marquées par une politique de la mort, produisent-elles des effets sur la subjectivation juvénile ? Nous avons problématisé certaines de ces questions à partir d’une perspective de recherche nommée l’oniro-politique. Freud et Walter Benjamin nous permettent de comprendre que le rêve a aussi une dimension d’analyse sociale à explorer – les restes du jour présents dans les rêves sont liés au collectif dans lequel le rêveur est inséré. C’est ainsi qu’à partir de 2019, face à la polarisation croissante de la vie politique nationale, nous avons construit la notion d’oniro-politique comme une stratégie éthico-politique visant à sauvegarder la complexité de la pensée. L’oniro-politique n’est pas une perspective thérapeutique du rêve. Elle ne cherche non plus à construire ni une biographie ni une psychopathologie d’un sujet. En reliant psychanalyse, rêve et politique au champ de l’éducation, à travers le dispositif des Cercles de Rêves [Rodas de sonhos], nous voulons souligner l’importance de garantir une place aux productions du sujet, à son imaginaire. Il s’agit aussi de créer des conditions pour que l’imaginaire produise des effets politiques (Didi-Huberman, 2011), permettant aux jeunes de se retrouver avec un avenir étayé sur la possibilité de rêver un lendemain !
7. Dire et écouter dans les institutions éducatives.
Segundo Moyano (Université Libre de Catalogne)
En éducation, au même titre qu’en psychanalyse, la parole occupe une place prépondérante dans ses pratiques, dans ses énoncés et dans ses expériences. Les mots, et tout ce qui les configure (l’intonation, le temps, l’espace, la pause ou son absence), articulent en partie les processus de transmission pédagogique. En ce sens, la circulation de la parole dans les institutions éducatives contemporaines apparaît de différentes manières et avec différentes formulations : revendications, attributions, échanges, enseignements, malentendus ; mais, le mot qui définit des caractéristiques particulières des sujets de l’éducation occupe également une place prépondérante. Parfois, de manière de plus en plus habituelle, ces mots tentent de dire « le tout » du sujet, pour qu’il devienne un sujet transparent selon Ph. Meirieu. Surtout dans les institutions périscolaires. Nous nous référons aux institutions chargées de la protection, de la prise en charge mais aussi de l’éducation des enfants et adolescents comme des centres de protection, justice pour mineurs, soins spécialisés, écoles de la deuxième chance, etc.). A ces croisements de temps et de lieux, la parole chargée d’adjectifs substantialisés ouvrant des parcours prédéfinis, tient une place centrale. Alors, comment désactiver les effets de « destin social » produits chez ces enfants et adolescents ? Comment permettre un dire au-delà des attributs identitaires ? A partir de ces questions, il est possible d’élucider, de manière approximative, les limites, les paradoxes et les contradictions qui animent les pratiques éducatives contemporaines.
Ana Bloj (Université Nationale de Rosario)
Nous nous proposons d’aborder les apports de la psychanalyse face aux incompréhensions entre la lecture faite par les écoles et ce que disent garçons et filles avec leurs symptômes à la sortie du confinement dû au Covid-19 dans la ville de Rosario (Argentine). Lors de la rentrée scolaire en 2022, nous avons observé une école déboussolée face à des garçons et des filles arrivant avec des difficultés de socialisation, des difficultés à rester assis sur les bancs et des épisodes de plus grande violence. Rien de tout cela n’est nouveau, mais l’escalade potentielle de ces symptômes, ou troubles – selon le cas – conduit les écoles à devenir encore plus tendues et « fermées » face à cette sentence dans l’esprit de tout le monde : « cette école n’en peut plus ». Souvent, l’analyste se fait le porte-parole des garçons et des filles pour que leur parole soit entendue, ou il collabore à la production de sens là où prédomine un trouble. Cette intervention nécessite un travail de conversion d’un discours audible depuis le lieu que Lacan appelle « agent ». En parallèle, une analyse des effets de l’isolement sur la subjectivité peut être partagée avec les acteurs de l’éducation – qui attendent toujours l’arrivée d’un « enfant pré-pandémique » – en vue de permettre aux enseignants de se positionner différemment en construisant des dispositifs pédagogiques artisanaux susceptibles d’accepter les configurations actuelles.
Carla Jatoba Ferreira (Université Fédérale de Ouro Preto).
Comment les mots prononcés par une fille, porteuse de la trisomie 21, sont-ils considérés par les adultes à l’école ? Des mots simplement ignorés ? Des mots inouïs qui ne résonnent pas comme une production langagière ? Dans mon exposé je reviendrai sur une scène dont j’ai été témoin, en tant que chercheuse, dans une école publique de l’État de Minas Gerais, au Brésil. Au cours de quelques mois de travail, nous avons constaté des situations illustrant le mépris de la parole des enfants en situation de handicap. Comme point culminant de ce travail, nous soulignons le moment où l’enseignante n’écoutait pas les tentatives de l’enfant pour répondre aux questions posées, ignorant toute possibilité que cette fille pourrait être en train de réfléchir. L’enseignante ignore l’effort de l’enfant et, par conséquent, l’empêche de participer au discours social. On sait que le lien social ne se fait pas naturellement. Un lien se noue à travers des significations inscrites dans le champ de l’Autre. Prise dans des idéaux imaginaires normatifs, l’enseignante était incapable d’évoquer des significations dans le discours de l’élève, empêchant ainsi toute ouverture vers un processus d’apprentissage.
8. Interprétations contemporaines du dire de/à l’adolescence. Lectures de Lacan avec Jean-Jacques Rassial
Dominique Méloni (Université Jules Verne)
Quelle place revêt la parole lors de la constitution des choix d’orientation professionnelle ? Quand Lacan étudie Gide ou Joyce, il ne s’intéresse pas directement au processus adolescent, mais il aborde néanmoins des moments de basculement de la vie subjective inhérents au choix de seconsacrer à l’écriture. Tout d’abord (1966), il montre comment Gide a pu devenir désirant malgré l’attitude de sa mère qui l’en avait privé. Après avoir profondément remanié son œuvre, il explique comment Joyce (1975-1976), en jouant avec l’écriture, choisit aussi une place d’où il peut être reconnu, celle d’être écrivain. Le choix d’orientation engage effectivement potentiellement le choix d’une nomination. J’envisagerai l’affirmation de ce choix comme un dire constituant, voué à être entendu, en reprenant l’idée qu’il y a de l’être où il y a de la parole, énoncée par Lacan en introduisant la notion de parlêtre. Dès lors, inviter les adolescents à parler et acter leurs énonciations (Rassial, 2011) constitue des enjeux majeurs dans un contexte contemporain où l’Autre paraît profondément déchu, où l’ambigüité de la parole semble difficile à accepter, et de fait, où l’adolescent se trouve isolé.
Pedro Teixeira Castilho (Université Fédérale de Minas Gerais)
Jacques Lacan présente sa conception du discours à la fin des années 1960 à partir des séminaires De l’Autre à l’autre (1968-1969) et L’envers de la psychanalyse (1969-1970). A ce moment-là, il est influencé par « mai 1968 ». Il commence à proposer l’influence du capitalisme à partir de la catégorie du discours. Tenant compte du découpage de l’enseignement de Lacan, nous entendons présenter les conséquences du discours capitaliste sur la subjectivité des sujets adolescents qui manifestent dans leur corps (tatouage, piercing, scarification, cutting…) l’impossibilité du lien social induite par le discours capitaliste. Les significations que les adolescents donnent à la dimension de l’avoir au détriment de l’être, constituent le symptôme du discours capitaliste qui vise à l’objectivation de l’autre, qui produit une jouissance qui ne s’adresse pas à l’Autre, c’est-à-dire qui ne fait pas le lien social. Cette déformation, selon J-J. Rassial, se caractérise par des états limites qui résident précisément dans l’objectivation et la précarité du lien social, ce qui fait apparaître l’autonomie des relations structurelles pour de nombreux adolescents d’aujourd’hui sous la forme d’un effacement de l’Autre. Les manifestations de l’état limite se donnent à voir dans les comportements dépressifs des adolescents, le passage à l’acte, la consommation excessive de drogues, le comportement errant et les discours fanatiques. Dans ces cas-là le psychanalyste doit écouter chaque adolescent dans la singularité de ce qui est dit, cherchant à construire une nomination avec l’adolescent qui passe par l’invention productrice de lien social.
Marcelo Ricardo Pereira (Université Fédérale de Minas Gerais)
« L’âme est toujours perméable à un élément du discours », dira Lacan dans son étude sur Gide. Alors, quel discours peut-on déduire d’une sorte d’homo informaticus, propre à notre époque, reflété surtout dans les subjectivités des adolescents et des jeunes adultes qui semblent s’y conformer ? Depuis le milieu du 20e siècle, on assiste à une fracture de la modernité. Les mouvements de contreculture, identitaires, écologistes, anti-belligérants et antidictatoriaux, ainsi que l’avènement du Web et de la vie numérique – menés principalement par les jeunes et maintenant aussi par les adolescents – ont modifié les savoirs, déplacé les certitudes et, par conséquent, produit d’autres vérités discursives qu’il est urgent de théoriser. Il est possible que nous soyons en train de prendre un tournant historique vers un mode d’existence virtuel, performatif et hédoniste : une société juvénile ! Mais elle nous condamne peut-être à une sorte de narcissisme de masse à l’intérieur du miroir électronique, nous fixant, en tant que « Moi » imaginaire, dans la jubilation de la jouissance anticipée de notre propre mirage. Subjectivités sans sujet, l’anéantissement du « Je » symbolique, l’autre objectivé ? Peut-être produisons-nous plus de jeunes gens comme Moritz (le suicide dans « Le réveil du printemps ») que comme Melchior (et sa sortie au-delà du miroir). Or, prévient Rassial, que vienne un autre discours, « virtuel », dans lequel un sujet accepte de soutenir la place fragile de l’énonciateur. Si c’est le cas, je propose de concevoir pour la table ronde un autre discours qui atteint effectivement, à l’horizon, la possible subjectivité numérique de notre temps.
Sébastien Ponnou (Université de Normandie)
Quelle place est aujourd’hui dévolue à la parole de l’enfant et de l’adolescent dans les institutions et dans la Cité, et plus particulièrement dans les pratiques de soin, d’éducation et d’intervention sociale ? Quelle place pour la parole au temps du réductionnisme biologique, du New management des organisations, du capitalisme et de la science comme discours dominants ? La pratique analytique se fonde sur la parole du sujet et le réel qui se fait jour dans le langage. C’est une pratique du dire, du sens et du hors sens qui se manifestent par les détours du transfert. Elle implique la rencontre, le temps, la présence des corps. Partant de vignettes cliniques (clignettes) en cabinet et en institution, et à l’appui des réflexions tissées au fil du cartel « Jeunesse/adolescence » engagé il y a près de deux ans avec Dominique Meloni, Marcelo Ricardo Pereira, Jean-Jacques-Rassial (Plus-Un) et Pedro Teixeira Castilho, nous essaierons d’extraire les spécificités et les tessitures du dire et des modalités du travail de de parole à l’adolescence : parole et objet, chiffrage/déchiffrage, articulation des registres RSI et pratiques de nouage, sublimation, fonction du symptôme, phénomènes de corporisation et de nomination, sinthome, escabeautage, invention… Au-delà des questions et des phénomènes de structure, nous essaierons de repérer la spécificité des usages et fonctions de la parole dans le travail analytique avec les adolescents. Ce faisant, nous nous attacherons à dégager les opérations particulières à même de distinguer la spécificité des pratiques de parole dans le champ de la clinique psychanalytique.
9. Processus éducatifs et inclusion au Brésil et en France : quelle place pour la parole des enfants et des adolescents en situation de handicap ?
Eric Plaisance (Université de l’état de Rio de Janeiro)
La France a un long passé historique d’éducation spécialisée pour les enfants autrefois nommés péjorativement « anormaux ». A partir des années 2000, la priorité à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants « en situation de handicap » a été progressivement affirmée, sous le titre « inclusion scolaire » (loi de 2013), puis « éducation inclusive » (loi de 2019). On constate de nouvelles avancées sur la scolarisation des enfants dits « handicapés » en milieu scolaire, mais aussi des obstacles qui subsistent, par exemple sur la présence d’enfants ou d’adolescents dans des dispositifs particuliers, soit en milieu scolaire ordinaire, soit en milieu spécialisé extérieur. La question importante, malheureusement peu abordée dans les recherches, est de connaitre les perceptions des élèves directement concernés sur leur propre situation, autrement dit : comment s’expriment-ils en tant que sujets ? Des recherches de type ethnographique montrent les paradoxes et les difficultés du chemin vers l’éducation inclusive. Des élèves dits « handicapés mentaux » qui fréquentent à la fois un établissement scolaire et un dispositif particulier témoignent des tensions qu’ils vivent dans les interactions avec les autres et dans les processus d’apprentissage. Ils montrent leur remarquable capacité réflexive car ils sont conscients que leur inscription scolaire se heurte encore à des désignations dévalorisantes qui les disqualifient. Pourtant, dans des conditions favorisées par les enquêteurs, ils peuvent revendiquer leur place spécifique et leur identité. Mais leur souci de reconnaissance sociale se heurte au caractère normatif de l’institution scolaire.
Mônica Rahme (Université Fédérale de Minas Gerais)
Cette présentation consiste à discuter des transformations de la notion d’autisme et de leurs effets pour le domaine éducatif, en ayant comme références les opérateurs conceptuels de la Psychanalyse. Du tableau nosographique systématisé par Leo Kanner dans les années 1940 sous le nom de Trouble autistique du contact affectif, l’autisme est re-signifié, renommé et recadré dans différentes catégories au fil des décennies, étant redéfini comme Trouble du Spectre Autistique (TSA) avec la publication de la 5ème édition du DSM-V, en 2013. Outre l’introduction de la notion de spectre dans l’approche et le diagnostic de l’autisme, l’émergence de la notion de TSA est liée à un moment de forte médicalisation de la vie et s’accompagne d’une intensification de la contestation entre champs théoriques, en quête d’hégémonie de leurs discours et de l’espace dans le processus de mise en œuvre des politiques publiques. Ce mouvement a des déploiements dans l’école, car il tend à intensifier la psycho-pathologisation de l’apprentissage et la classification des comportements à travers un discours médical qui, assez souvent, finit par réduire l’ouverture des enseignants au sens de réinventer leur propre pratique éducative face à l’hétérogénéité du public que l’on trouve dans le contexte scolaire. Considérant ces impasses, nous nous intéresserons dans cette intervention aux apports conceptuels de la Psychanalyse au travail éducatif auprès des enfants et des jeunes avec autisme, tels que la question des centres d’intérêt, le thème des objets autistiques, le corps pulsionnel et les opérateurs Autre/autre, questionnant comment l’attention à ces spécificités peut favoriser les processus éducatifs et les politiques publiques dans la mesure où elle permet la reconnaissance des subjectivités.
Simone Bicca Charczuk (Université Fédérale do Rio Grande do Sul)
Cet exposé soutient que les formations d’enseignants ont comme engagement éthique de construire des espaces d’écoute et de partage afin que les étudiants puissent parler de leurs impasses pédagogiques. À partir des récits d’étudiantes du cours de pédagogie, j’ai remarqué qu’elles mentionnent une formation insuffisante pour guider leurs pratiques, surtout lorsqu’il s’agit de travailler avec des autistes. En revanche, lorsqu’elles sont invitées à parler de leurs actions pédagogiques, elles font état d’interventions qui considèrent la singularité des enfants. Même si elles relatent la force de ces interventions, elles ne les reconnaissent pas comme dignes d’intérêt par rapport aux connaissances scientifiques. À ce propos, en articulation avec Vivès et Maleval, j’analyse des situations vécues à l’Université qui cherchent à promouvoir ces espaces de partage, notamment le processus d’élaboration d’un travail suivi au cours de l’année 2021. Dans celui-ci, une étudiante aborde sa pratique avec une élève autiste en se référant à une conception psychanalytique du jeu. Dans les différentes scènes présentées, elle raconte comment s’est construite sa relation avec Maju, en notant sa préférence pour un train rouge, qui devient un objet de médiation et qui permet à la jeune fille d’entrer et de rester dans l’espace scolaire. En guise de conclusion à son travail, l’étudiante souligne l’importance d’accompagner et d’écouter l’enfant et de construire ses interventions à travers les mouvements que la fille elle-même a indiqués. De cette manière, l’étudiante reconnaît que les aspects théoriques sont essentiels à la recherche et à la pratique pédagogique, pour autant qu’ils soient placés comme éléments en dialogue avec les médiations pédagogiques construites dans chaque rencontre éducative.
Isael Sena (Université Catholique de Salvador de Bahia)
Dans cette présentation, nous réfléchissons sur les impasses auxquelles se heurtent les parents d’enfants autistes qui luttent pour une justice sociale et la reconnaissance de leur situation. Ce sont des personnes qui vivent dans des espaces fragiles et qui sont assistées, en groupe, par le Centre de Référence d’Assistance Sociale – CRAS. Dans notre travail d’assistance sociale, les familles se tournent vers le service pour avoir accès à l’Assistance Sociale, garantir le droit de leurs enfants à l’inclusion scolaire, à la gratuité des transports et bénéficier d’un intermédiaire pour faire valoir leurs droits au Bénéfice de Prestation Continue – BPC, entre autres. Durant notre écoute, nous observons que mères et pères ne possèdent pas toujours une compréhension approfondie de leur citoyenneté, qui s’efface souvent dès lors qu’ils ont affaire aux institutions. Ceci reflète notre manière d’établir le lien social au Brésil, qui conserve à la base une fascination pour les vestiges esclavagistes, ce qui constitue notre « symptôme national ». Les souffrances rapportées par les parents font également ressortir la dimension éthico-politique de la dialectique exclusion/inclusion de ces sujets, qui sont généralement stigmatisés et culpabilisés individuellement en raison de leur situation sociale, ce qui a pour effet de rendre légitimes les relations de pouvoir. C’est dans ce contexte adverse que nous avons mis en place, comme stratégie d’accueil aux familles, un espace “de libération et de droit à la parole”, dans lequel nous écoutons et travaillons les demandes, en cherchant également à impliquer les parents dans les micro-solutions, de manière à les mobiliser et orienter les sujets face au discours juridique, pédagogique et d’ordre politique. Autrement dit, nous instaurons l’expérience de politiser la parole en faveur de la justice sociale, en ce qui concerne la place de l’enfant sur le plan politique et dans les politiques publiques de soin.
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